Sur la solitude
Depuis longtemps je vis en apnée modérée, traduction d’une tendance à l’introversion, à aimer l’isolement. Je profite d’être chez moi pour recharger les batteries, tout en remontant régulièrement à la surface pour respirer le réel et évoluer en société, côtoyer des gens, cultiver le vivre ensemble.
Auparavant, j’arbitrais un certain équilibre entre vie sociale et besoin de solitude, en disposant de la capacité à moduler mon niveau d’énergie.
Mais avec le covid et l’isolement continu, s’est opérée une vraie désynchronisation entre moi et le monde qui a poussé à son paroxysme ce trait de caractère particulier, celui d’être solitaire.
L’air extérieur m’est maintenant irrespirable, étouffant, opaque, et me pousse à plonger sous l’eau de plus en plus souvent et longtemps. Je commence à perdre pied dans l’ivresse des profondeurs, à développer une aversion quant à l’idée de remonter à la surface, cumulant concomitamment la peur d’un jour n’être plus en capacité d’y revenir. Je me sens perdre le contrôle, ployer, n’avoir pour seul choix que de m’enfoncer, m’effacer dans les limbes réconfortants face à ce que l’existence juge d’oppressant.
En vérité il me devient extrêmement couteux en énergie de me maintenir à la surface. Je suffoque. L’état solide de ce ressenti est semblable à une énorme dalle de béton imperméable.
Aller à l’extérieur est pesant ; me retrouver dans le train, dans un centre commercial ou un magasin me donne des vertiges ; plus généralement tout espace clos m’est à ce jour devenu insupportable, et même dehors je ne supporte plus les foules, la densité. J’ai besoin de m’échapper, de fuir, vite, au risque sinon d’être en proie à la panique. Il est de ces moments où j’aimerais appuyer sur un bouton pour faire disparaître le monde. Je cherche le calme, l’absence, les grands espaces vides, comme ceux que m’offrent en substance la vue depuis les fenêtres de mon appartement.
Plus le temps passe plus l’isolement s’accentue. Je perds la connexion réseau avec le réel, happé par l’angoisse. Assis dans le métro, je m’observe un peu à la troisième personne, incapable de m’empêcher de chercher des yeux les sorties, l’Ailleurs, conscient du caractère récurrent de ces commotions à l’intensité grandissante. Je suis obligé de canaliser mon esprit par la force, de mobiliser et déployer l’ensemble de mes ressources, de trouver des parades et des subterfuges palliatifs, de fermer les yeux, respirer profondément ; pour ne pas sombrer totalement.