Rencontre sur le quai

Publié le 20 juillet 2020


Nous sommes le vendredi 5 juin, mon téléphone indique 14h30.

Le temps est couvert et semble annoncer quelques averses. A l’aune de ces informations, je m’empresse de rallier la station de métro la plus proche, afin d’aller retrouver chez elle une amie pour discuter de nos vies, et accessoirement, découvrir son nouvel appartement.

Après un court trajet, j’arrive à la station Brochant, une de celles qui jalonnent la plus terrible ligne du métro parisien.

En descendant, et comme à mon habitude, je marche sur le quai tout en observant les passagers – plus souvent les passagères - qui occupent les rames et ne sont pas encore arrivé(e)s à destination.

Mes yeux suspendent leurs courses un instant, sur une jolie femme pétillante. Elle me fixe également. Mon corps s’arrête brusquement et se fige. Tout le sang remonte à vive allure au cerveau qui active simultanément 42 processus et explose dans un vacarme silencieux. Je plonge mon regard en elle et prononce son prénom avec une once d’interrogation. En signe de reconnaissance, elle prononce le mien.

Je m’approche d’elle et lui demande ce qu’elle fait là. Nos regards sont chargés de surprise. Elle me sourit. Je pense un instant, à monter dans la rame, ou à l’en extraire. Mais à peine a-t-elle eu le temps de me répondre que les portes du wagon se referment, et le train reprend son chemin.

D’un signe de la main, on s’accorde pour s’appeler. Je la regarde partir au loin, un peu médusé. Je continue ma marche, encore tétanisé.
A cet instant j’aimerais m’en empêcher, mais je teinte cette rencontre inattendue d’un symbolisme particulier.


15h53 - Whatsapp
Moi : tu es libre ce soir ?

On devait se retrouver initialement à 21h30, chez moi ; elle arrivera éméchée à 1h du matin, en s’excusant platement de ne pas avoir pu s’échapper plus rapidement de son rendez-vous pro « afterwork » mêlant les associés de son entreprise, elle-même, et des partenaires.

On boit du vin blanc et on discute.

Pour elle, c’est le destin. Elle ne croit pas aux hasards.

On évoque chacun notre tour nos ressentis : elle m’a reconnu quelques millisecondes avant moi, et m’a vu me liquéfier sur place. C’est, paraît-il, à mon regard qu’elle a reconnu l’inconnu derrière le masque.

Elle parle de sa vie et je ne fais que constater le chemin qu’elle a décidé d’emprunter. A la vérité, il me semble que je sois en désaccord complet sur sa vision du monde. Elle est totalement représentée. Elle a persévéré dans son être et le sien était d’être une princesse égotique qui vit plus pour ce que les choses signifient que pour ce qu’elles sont.

Je décide néanmoins de me glisser délicatement dans le rêve d’un soir et je joue ma partition en comblant les silences de sa respiration par des « mmh », « c’est évident », « bien sûr ».

Ça me fait sourire d’entendre cette bombasse me parler d’astrologie : « c’est mathématique », « c’est pourquoi on s’entendait aussi bien ».

En fait, je suis ailleurs.

Il faut dire qu’elle m’a recontacté par messages il y a deux semaines. On devait aller prendre un verre quand on trouverait le temps.
L’univers a cru bon de s’amuser en réduisant cette temporalité.

Moi j’étais d’accord pour dire - avec parcimonie - que j’étais guéri de notre relation. Donc je suis plutôt détaché.
Puis le vin blanc me rend un peu cynique. J’ai même pas la trique pour tout dire.
Je crois qu’à un moment j’ai cessé de ponctuer ses fins de phrases. Elle a dû le remarquer et s’est arrêtée de parler.

Genre. Elle s’arrête et se déshabille. Ok. Nue, debout sur mon lit, elle me demande comment je la trouve. Alors en bon scientifique je tâte : les cuisses, les fesses, les hanches, le creux des reins, toutes les courbes. Je teste la résistance, la densité, le moelleux ou encore le bruit et la résonance. J’organise des mesures précises et j’inspecte chaque millimètre carré de son corps. C’est du matériel de bonne facture, oh oui les belles libanaises ne connaissent pas la crise, et j’en viens à me demander si je devrais pas noter toutes mes observations sur un petit carnet.

Il subsiste une attirance hors-norme entre nous deux, et si elle ne me donne pas (plus) nécessairement envie de sexe, elle me pousse au moins à la tendresse et l’affection. Depuis le début madame se languit de ma bouche mais continue de se faire désirer. Elle fait monter les œufs en neige. Elle veut de moi, seulement si j’y mets les formes et que je fais le bon move. C’est marrant. Elle verbalise clairement notre tension réciproque : « Tu es un séducteur, moi une séductrice. »

Quelques étreintes - moi debout, elle en train de me chevaucher - viennent à bout de ses fausses résistances courtisanes. A l’ancienne. Je la pose en douceur sur le lit et j’emballe.

Elle : « Tu m’ennuies, on peut pas s’en empêcher, pourquoi tu m’attires autant ? »

Voilà, on y est. Pourquoi elle accepte chez moi ce qu’elle n’accepte pas chez les autres ? Je crains d’avoir un passe-droit puisque je passe la barre de l’objectivement attirant (pas seulement physique). Tout est tellement plus fluide, le combat s’évapore et la séduction devient une coopération.

Elle me complimente excessivement, pas pour me faire plaisir, juste qu’elle ne puisse pas s’en empêcher je crois : « tu es mon préféré », « je suis celle qui rassure les autres d’habitude mais ton regard à toi est rassurant et tu es la seule personne qui me procure ça », « Il y aura toujours un lien entre nous, même dans 30 ans. Regarde, rien n’a changé. J’ai un amour authentique et inconditionnel pour toi. », « c’est bien parce que c’est toi », bla bla bla.

On couchera ensemble deux fois, sans se protéger. Bof. J’ai pas trop la trique je vous ai dit. Pourtant elle est très entreprenante, sensuelle et brut de désir. C’était sympa, mais je suis un peu tiède, déconnecté. L’esprit ailleurs. Cf le concept de levrette dissociée. Je suis dedans, pas vraiment dedans, elle le remarque, elle le sent. Il me semble que c’est un indicateur probant pour affirmer que ma chair dans la sienne n’a plus la même symbolique. Je n’ai pas eu envie de me tailler les veines.
Elle se distinguera par son affection plus prononcée et ses câlins nocturnes.

On se réveille assez tard, mon portable indique midi.
Elle me demande si je veux qu’on refasse ce genre de soirée plus souvent. Moi je pensais être guéri d’elle, et je me rends compte après cette confrontation au réel que c’est bien le cas, alors je lui réponds que ce sera avec plaisir de se revoir.

Sur le pas de la porte, je la vois à travers la vitre du taxi. Elle passe la main dans ses cheveux et me gratifie d’un large sourire.

C’est ainsi que j’ai recroisé, 13 mois plus tard, mon second amour.