Fenêtre sur rue
21h. Aux lueurs du crépuscule. Une jeune soirée étouffe au 1er étage d'un appartement haussmannien, à deux pas de l'Arc de triomphe.
Plus serrés qu'un lundi matin dans le métropolitain, le souffle de leurs rires résonne dans l'air ambiant, chaud. C'est une mélodie indélicate qui parvient à mes oreilles et trouble la quiétude que seule dérangeait le passage rare des voitures à cette heure.
Sur le rebord de fenêtre, une femme élégante, la vingtaine, discute semble-t-il nonchalamment avec le garçon en face d'elle. A la distance qui les rapproche, on devine que l’échange est frivole. Elle dévoile de larges sourires, quoique évasifs, des regards subtilement insistants. Quelques manies altèrent la contenance qu’elle essaie de maintenir après deux mois infinis passés seule face à elle-même. Lui noie ses doutes avec le liquide d’une bouteille trop chère pour être appréciée à cette heure.
Ils sont tous deux déjà bien emportés, mais pas encore conscients. Demain le réveil sera rude, mais pour l'instant c'est l’ivresse. Dans ses yeux il voit le reflet bleuté de son costume. Il n’a pas eu le temps de se changer. Dans les siens elle voit sa robe, arrivée in extremis le matin-même par voie postale. L’habit leur semble important, pourtant ce soir il n’est pas question de déshabiller leurs âmes.
D’ailleurs, personne ne le dit, mais on le lit sur toutes les lèvres : s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont choisi de se battre, de vivre. En tout cas lui le pense.
Pour eux, pas question de laisser le Covid bouleverser leur quotidien. Paul-Edouard argue qu’il n’a pas pris un jour de repos, son travail au fond d’investissement lui semblant trop essentiel. S’arrêter aurait été contraire à ses valeurs.
Et si chacun évoque sa petite histoire, tous se sentent solidaires et fiers. Car ils n’ont pas cédé face à la difficulté du combat, ils ne se sont pas plaints pour ces weekends annulés, ces restaurants fermés, ces colis qui ont pris du retard, et tous ces tracas substantiels. C’est pour soutenir le corps médical applaudit tous les soirs à 20h qu’ils ont décidé de se réunir et de célébrer cette victoire.
Ce soir, personne ne porte de masque, mais personne ne dévoilera la tristesse latente qui le ronge.